Chronique JDA Droit(s) de la Santé

La règle de BALTHAZAR n’est pas un PGD

Le présent article rédigé par Mme Louise Parent, Étudiante en Master II Droit de la Santé, Université Toulouse 1 Capitole, promotion Marie Curie (2021-2022) , s’inscrit dans le cadre de la 6e chronique en Droit de la Santé du Master Droit de la Santé (UT1 Capitole) avec le soutien du Journal du Droit Administratif.

Louise Parent,
Étudiante en Master II Droit de la Santé, Université Toulouse 1 Capitole, promotion Marie Curie (2021-2022)

La règle de Balthazar, également appelée « règle des capacités restantes » est une règle fixée en matière d’incapacité pré-existante[1]. En effet, selon cette règle, si un fonctionnaire s’est vu reconnaître un taux d’incapacité relevant d’un accident du travail, le taux d’incapacité résultant d’un nouvel accident sera calculé sur la capacité restante du fonctionnaire.

Par exemple, si un fonctionnaire est victime d’un accident de trajet lui faisant perdre 40% de sa capacité, il ne lui restera alors plus de 60% de sa capacité totale. Au cas où il serait de nouveau victime d’un accident entraînant une incapacité de 20%, cette dernière sera calculée sur le taux de capacité restant, soit 20% de 60%, ce qui équivaut à 12%. In fine, le taux de capacité restante du fonctionnaire sera de 48%.

Si la mise en place de la règle de Balthazar s’est faite de manière graduée (II) grâce la jurisprudence du Conseil d’État et du pouvoir règlementaire, sa reconnaissance est aujourd’hui établie, permettant un affinage des critères d’applications (II) sans que pour autant le juge administratif ne la reconnaisse comme étant un principe général du droit[2] (III).

I. La reconnaissance graduée de la règle de Balthazar

Cette règle, fixée pour les fonctionnaires territoriaux et hospitaliers par décret du 2 mai 2005[3], sera pourtant mise en place 15 ans avant sa codification par un arrêt du Conseil d’État Resve du 20 juillet 1990[4]. En l’espèce, un agent de service du ministère de l’éducation nationale avait été mis à la retraite d’office pour cause d’incapacité en date du 25 juin 1976. Le fonctionnaire, au moment de sa titularisation, était déjà atteint d’un taux d’incapacité de 62%. C’est après les évènements de mai 1968 que son état s’est aggravé – suite à divers traumatismes faisant suite aux violentes manifestations –  pour atteindre un taux global de 80%[5]. Le requérant demandait alors au juge administratif la prise en compte, dans sa pension de retraite, des sommes perçues au titre de la rente viagère d’incapacité et ce, à taux de 50% de son dernier traitement, et non pas à 30% comme cela l’avait été auparavant décidé. C’est dans cet arrêt que le juge administratif consacre non seulement la règle de Balthazar mais qu’il clarifie également les règles de calcul la concernant.

La règle n’est pas des plus aisées à comprendre mais son enjeu est grand ; en effet, l’article L30 du Code des pensions civiles et militaires de retraite[6], fixe le taux de la rente à 50% des traitements et émoluments si l’incapacité est au moins égale à un taux de 60%. Pour le fonctionnaire alors, la détermination de l’incapacité est nécessaire en ce que plus la rente perçue est grande, plus les sommes versées au titre de la pension retraite sont élevées.

Ainsi, le juge administratif expliquait que : « pour déterminer l’invalidité[7] ouvrant droit au bénéfice de l’alinéa 1er de l’article L. 30 précité, de retrancher du taux d’invalidité global retenu celui de l’invalidité préexistante et de diviser le taux ainsi obtenu par celui de la validité qui était celle de l’agent au moment de sa titularisation ». En l’espèce alors, il convient de calculer selon la règle désormais fixée par le juge dans l’arrêt du 20 juillet 1990 et selon les variables exposées :

  • Le taux d’incapacité global était de 80% après avoir été aggravé par les évènements de mai 1968 et au moment de sa mise en retraite.
  • Le taux de l’incapacité préexistante était de 62% au moment de sa titularisation.
  • Quant au taux de capacité de l’agent au moment de sa titularisation, il était de 38% (100% – 62% = 38%).

Le calcul est alors le suivant :

(Taux d’invalidité global – taux d’invalidité préexistant) / taux de validité restant au moment de la titularisation de l’agent. Ce qui donne : (80 – 62) = 18 pui 18 / 0,38 = 47.3%

Selon la règle ainsi avancée par le juge, en l’espèce, le fonctionnaire n’a pas le droit à l’application de l’article L30 du Code des pensions civiles et militaires de retraite, son incapacité n’étant pas, au moins égale à 60%. Le retraité ainsi ne peut voir augmentée sa pension, le palier de 60% d’incapacité n’étant pas franchi. Cette solution peut être vue sévèrement mais est en réalité logique, bien qu’elle crée des effets de seuils. En effet, si une personne subit une perte d’une partie de sa capacité à travailler, il n’y a aucune raison qu’un nouvel accident donnant lieu de nouveau à une perte de capacité soit calculé sur la capacité totale dont faisait preuve l’agent avant tout dommage.

II. Une pérennisation de l’arrêt Resve permettant un affinage des critères d’application de la règle des capacités restantes

Cependant, [à la suite de] l’arrêt Resve [énonçant] la règle de Balthazar, le juge administratif n’a eu de cesse d’interpréter la mesure. En effet, aux termes de l’arrêt du Conseil d’État du 3 mars 2008[8], il semble assez clair que la règle de Balthazar ne soit appliquée que pour les infirmités successives ayant une relation médicale ou un lien fonctionnel entre elles. Si les infirmités sont indépendantes les unes des autres, le taux d’incapacité s’apprécie eu-égard au cumul de celles-ci. Ainsi, les incapacités qui feraient suite à la première doivent seulement être une aggravation de celle-ci.
Prenons l’exemple d’un fonctionnaire qui  subit un accident de trajet entraînant une incapacité calculée à 15%. Quelques mois après il tombe dans les escaliers sur son lien de travail. Un taux d’incapacité supplémentaire de 10% est ajouté. Un expert démontre que le deuxième dommage n’a aucun lien avec le premier ; la règle des capacités restantes ne s’applique pas du fait qu’il n’y ait aucun lien entre les deux dommages. Les deux taux d’incapacité doivent s’ajouter, ce qui donnera alors une incapacité totale de 25%.

En effet, dans l’arrêt du 3 mars 2008, un fonctionnaire avait été victime de trois accidents de service survenus entre les années 1978 et les années 1996. À partir du 24 janvier 1997, il avait bénéficié d’une allocation temporaire d’invalidité sur la base d’un taux d’incapacité permanente de 12%.

Suite à la révision de ses droits à allocation en 2002, le taux d’incapacité avait été calculé selon la règle des capacités restantes, et avait été porté à 9.75%, n’ouvrant alors pas droit aux bénéfices d’une allocation temporaire d’invalidité ;cette dernière ne pouvant être attribuée, aux termes de l’article 2 du décret du 6 octobre 1960[9] qu’aux « aux agents maintenus en activité qui justifient d’une invalidité permanente résultant (…) d’un accident de service ayant entraîné une incapacité permanente d’un taux au moins égal à 10 % » -.

Le juge administratif conclura ainsi que « les deux infirmités dont M. A a été successivement atteint à la suite des accidents de service (…) sont sans lien fonctionnel l’une avec l’autre ; qu’ainsi, la seconde ne saurait être regardée comme une aggravation de la première (…) le taux d’invalidité résultant du troisième accident ne devait pas être calculé par rapport à la validité lui restant (…) qu’il suit de là que M. A était en droit de bénéficier, à la suite de cette révision quinquennale, d’une allocation temporaire d’invalidité sur la base d’un taux global de 10 % ».

III. L’exclusion de la règle de Balthazar comme étant un principe général du droit applicable aux situations d’invalidité

Mais plus précisément, dans un arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux en date du 3 février 2022[10], le juge administratif est venu préciser le champ d’application de la règle de Balthazar. Cette affaire n’est pas récente [(sic)] – et n’est pas sans lien avec le scandale sanitaire du sang contaminé – puisqu’elle concerne un requérant contaminé, à la suite d’un accident de voiture nécessitant une transfusion sanguine, par le virus de l’hépatite C.

À la suite de cette contamination, la victime demande, comme il lui est permis, indemnisation de ses souffrances auprès du tribunal de grande instance de Toulouse (TGI). Ce dernier fait droit à sa demande en date du 18 décembre 2007, en vue de réparer la perte de chance de retrouver un emploi. Pour autant, cette indemnisation n’eut pas eu pour effet, d’obtenir pour le requérant, la réparation intégrale des préjudices comme cela est pourtant inscrit dans le Code civil à l’article 1240[11].

C’est ainsi qu’une nouvelle demande indemnitaire fut demandée de la part du requérant auprès du juge administratif afin de voir réparées ses pertes de gains passées et futures. Par jugement du 17 mars 2016[12], ses prétentions furent rejetées, ce qui fut renouvelé par la Cour administrative d’appel de Bordeaux par arrêt du 20 mars 2018[13]. En effet, pour cette dernière, le requérant ne démontrait pas l’utilité d’une expertise – qui aurait permis de déceler l’apparition de nouveaux préjudices ou l’aggravation des premiers et ainsi potentiellement l’application de la règle de Balthazar –
Pour autant, le requérant va se pourvoir en cassation devant le Conseil d’État. Ce dernier va se prononcer en date du 13 mai 2019[14], date à laquelle il annulera l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux au motif qu’il lui incombait de mandater un expert dans le but de vérifier si des préjudices nouveaux, mêmes temporaires étaient apparus, ou si les premiers préjudices s’étaient simplement aggravés.

Pour les juges du Palais-Royal, l’argumentation de la Cour d’appel ne peut être valablement reçue en ce que le requérant ne cherche pas à faire établir une aggravation de ses préjudices – qui ne serait alors un moyen nouveau -, mais bien d’obtenir réparation de la perte de ses gains professionnels passés et futurs, moyen nouveau puisqu’il n’avait pas antérieurement été invoqué devant le TGI de Toulouse. Bien que le Conseil d’État annulera l’arrêt de la Cour d’appel administrative de Bordeaux il renverra tout de même la cause et les parties face à cette dernière, qui rendra son arrêt en date du 3 février 2022 en adoptant une position tout à fait nouvelle.

En effet, elle soulignera que le déficit fonctionnel de base du requérant était de 35%, ce qu’elle ne conteste pas, mais que ce premier avait totalement disparu du fait de la greffe. Pour autant, cette dernière fut lourde de conséquences sur l’invalidité du requérant en ce qu’elle entraîna, pour lui, un traitement à vie sous immuno-suppresseurs, une aggravation de son diabète ainsi qu’une hypertension artérielle résultant de taux d’invalidités fixés respectivement à 25%, 20% et 3%.

Ainsi, puisque les conséquences nouvelles étaient en causalité avec la greffe qui avait elle-même été entraînée par la contamination à l’hépatite C, la règle de Balthazar aurait du trouver lieu à s’appliquer. D’autant plus que l’expert avait calculé un taux d’invalidité de 41.80%. Cependant, le juge administratif va réfuter l’application de la règle de Balthazar au neuvième point de l’arrêt.

En effet, pour le juge du fond, la règle de Balthazar, ne vise à s’appliquer stricto sensu qu’aux incapacités subies par les fonctionnaires – et ainsi dans le cadre de leur emploi -. Aucune base légale, aucun décret, aucun acte, pour le moment, ne donne la possibilité à ce qu’en cas d’invalidité – qui n’est pas d’origine professionnelle contrairement à l’incapacité – la règle des capacités restantes soit appliquée. Ni même à ce qu’elle soit appliquée à d’autres personnes que des fonctionnaires. De facto alors pour le juge administratif en l’absence d’un tel texte, la règle de Balthazar ne doit être appliquée qu’aux fonctionnaires qui subissent un accident du fait de leurs fonctions. Ainsi, en l’espèce, peu importe que les préjudices aient un lien de causalité avec le premier évènement, ils se doivent d’être additionnés. L’invalidité totale est alors calculée à 48%, la règle de Balthazar ne s’appliquant pas, du fait de la situation ne rentrant pas dans les conditions énoncées par les jurisprudences et par le décret.

Le juge administratif fait alors là une interprétation stricto sensu de la règle posée par l’arrêt du Conseil d’État Resve de 1990. De même, il délègue la compétence de la création d’un texte permettant l’applicabilité de la règle de Balthazar à n’importe quelle situation accidentelle, aux organes légiférant et n’en fait alors pas, ici, un principe général du droit.


[1] Même si les deux notions sont souvent confondues, l’incapacité et l’invalidité revêtent deux significations différentes.

En effet, l’incapacité est relative à un accident de travail tandis que l’invalidité elle, doit résulter d’un dommage qui n’est pas professionnel. Les deux notions ne relèvent pas du même régime d’indemnisation et ont des conditions d’ouverture de droits différentes.

[2] [Ainsi que l’a rapporté le pr. Touzeil-Divina dans ses observations sous CAA de Bordeaux, 3 février 2022, C. (req. 19BX01860) in Jcp A 2022 ; act. 139 : « la règle de Balthazard (d’indemnisation d’invalidités successives d’un fonctionnaire) ne serait pas un principe général du droit » ; sur l’origine du principe : voyez la contribution du même au présent dossier].

[3] D. n°2005-442[.]

[4] Conseil d’Etat, 20 juillet 1990, Resve, n°67280[.]

[5] Qui implique alors un taux d’invalidité ajouté de 18%.

[6] Article L30 Code des pensions civiles et militaires de retraite : « lorsque le fonctionnaire est atteint d’une invalidité d’un taux au moins égal à 60 %, le montant de la pension prévue aux articles L. 28 et L. 29 ne peut être inférieur à 50 % du traitement mentionné à l’article L. 15 et revalorisé dans les conditions prévues à l’article L. 341-6 du code de la sécurité sociale ».

[7] L’invalidité ici est étendue lato sensu, au sens scientifique et non pas au sens juridique. 

[8] Conseil d’État, 3 mars 2008, n°304374[.]

[9] D. n° 60-1089[.]

[10] CAA Bordeaux, 2ème chambre, 3 février 2022, n°19BX01860[.]

[11] Article 1240 Code civil : « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

[12] Tribunal administratif Toulouse, 17 mars 2016, n°1304047[.]

[13] CAA Bordeaux, 2ème chambre, 20 mars 2018, n°16BX01630[.]

[14] Conseil d’État, 5ème et 6ème chambres réunies, 13 mai 2019, n°420825[.]