Chronique JDA Droit(s) de la Santé

CE, 1er février 2022, B. (440852) : obs. sur la notion d’infection nosocomiale

Le présent article rédigé par Mmes Anne-Camille Deléglise & Eva Mahoudeaux, Etudiantes en Master I Droit de la Santé, Université Toulouse 1 Capitole, promotion Emmanuelle Charpentier (2021-2022), s’inscrit dans le cadre de la 6e chronique en Droit de la Santé du Master Droit de la Santé (UT1 Capitole) avec le soutien du Journal du Droit Administratif.

par Mmes Anne-Camille Deléglise & Eva Mahoudeaux,
Etudiantes en Master I Droit de la Santé, Université Toulouse 1 Capitole,
promotion Emmanuelle Charpentier (2021-2022),

Lors d’un séjour en établissement de santé, un patient a statistiquement une chance sur cinq de contracter une infection nosocomiale. De plus, ces infections seraient à l’origine de 4 000 décès par an sur le territoire français [1]. Par ces chiffres, les infections nosocomiales ne relèvent donc pas de l’accessoire dans la prise en charge des patients en établissements de santé et alimentent le contentieux en la matière. Pourtant, leur définition juridique est loin d’être acquise. Elle a en effet été construite au fil des années et fait toujours l’objet de renouvellements. 

L’arrêt du Conseil d’Etat rendu le 1er février 2022 apporte sa pierre à l’édifice de cette définition jurisprudentielle déjà enrichie maintes fois par le juge.

Un patient souffrant d’une maladie chronique de l’intestin, en l’occurrence la maladie de Crohn, avait été admis en urgence au CHU de Rennes. Il a ensuite fait l’objet d’un transfert à l’Hôpital Saint-Louis de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris où il a subi une colostomie s’inscrivant dans le cadre de la réalisation d’une colectomie. La colostomie opérée s’est cependant rétractée et a engendré chez la patiente une péritonite généralisée qui, à la suite d’une autre intervention, lui a laissé des séquelles irréversibles. La victime a d’abord saisi la commission régionale de conciliation et d’indemnisation qui a déduit que la réparation de ses préjudices relevait de la solidarité nationale. L’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) a cependant refusé d’indemniser. Le juge des référés a donc été saisi par la victime.

Dans un premier temps, le tribunal administratif de Rennes a qualifié la péritonite d’infection nosocomiale et a astreint l’ONIAM au versement à la victime d’une somme de 111 962€ en vertu de l’article L. 1142-1-1 du Code de la santé publique. Selon le juge de première instance, la rétractation de la colostomie résulte d’un aléa thérapeutique, ce qui justifie la prise en charge au titre de la solidarité nationale.

L’ONIAM a ensuite fait appel au jugement rendu en première instance et a obtenu gain de cause auprès de la Cour administrative d’appel de Nantes. Par ailleurs, la Cour d’appel a rejeté les demandes indemnitaires du requérant contre l’ONIAM et contre l’établissement pour certaines complications opératoires qui lui étaient imputées.

La victime a ainsi formé un pourvoi devant le Conseil d’Etat qui a statué que l’infection « devait être regardée, du seul fait qu’elle était survenue lors de la prise en charge » de la patiente. Les juges ont également soulevé qu’il n’avait pas été contesté l’absence d’infection ou de son incubation au début de cette prise en charge. La péritonite ne pouvait donc pas avoir une autre origine. Le Conseil d’Etat interprète ainsi la prise en charge par l’établissement comme preuve première de reconnaissance d’une infection nosocomiale « sans qu’il y ait lieu de tenir compte de ce que la cause directe de cette infection […] avait le caractère d’un accident médical non fautif ou avait un lien avec une pathologie préexistante ».

L’indemnisation des victimes d’infections nosocomiales a été introduite par la Loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé et la Loi du 30 décembre 2002 relative à la responsabilité civile médicale. Elles créent l’ONIAM, établissement public rattaché au ministère de la Santé. Ce fonds indemnise notamment les victimes de certains accidents médicaux, d’affections iatrogènes et d’infections nosocomiales. Il prend aussi en charge les victimes de certains scandales sanitaires tels que ceux relatifs au Médiator ou à l’affaire du sang contaminé.

Si le terme apparaît dans le Code de la santé publique depuis longtemps, l’infection nosocomiale n’a cependant pas de définition législative ou réglementaire. Elle a remplacé l’expression « d’infection hospitalière » mais le législateur, toujours resté silencieux, a laissé aux juges le soin d’en établir sa caractérisation. Il a ainsi d’abord été mis en exergue une présomption de faute s’agissant des infections contractées dans les salles d’opération [2]. La Cour de cassation a ensuite consacré l’existence d’une obligation de sécurité de résultat des professionnels, dont ils ne peuvent se libérer qu’en apportant la preuve d’une cause étrangère comme origine de la lésion [3].

La véritable première définition de l’infection nosocomiale a été dégagée par le Conseil d’Etat en 2013 [4]. Celui-ci a considéré qu’ « à moins que la preuve d’une cause étrangère soit rapportée, seule une infection survenant au cours ou au décours d’une prise en charge et qui n’était ni présente, ni en incubation au début de la prise en charge peut être qualifiée de nosocomiale ». Cela suppose donc une prise en charge par un établissement de santé et l’absence d’un fait qui aurait pu occasionner l’infection avant cette prise en charge. Cette définition a été rectifiée cinq ans plus tard par la haute juridiction administrative [5] qui a affirmé qu’était nosocomiale « l’infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d’un patient et qui n’était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s’il est établi qu’elle a une autre origine que la prise en charge ». En d’autres termes, le fait que l’infection se manifeste au cours d’une prise en charge ne suffit plus à la qualifiée de nosocomiale. Selon les juges, c’est réellement l’absence de lien entre l’infection et les actes pratiqués ou le séjour au sein de l’établissement qui fait obstacle à la reconnaissance du caractère nosocomial de l’infection. Cela signifie que l’apparition d’une infection pendant une hospitalisation, qui n’était ni présente ni en phase germinale à l’admission, n’implique qu’une présomption simple pouvant être renversée par l’établissement.

Dans sa décision du 1er février 2022, le Conseil d’Etat reprend dans un premier temps la définition posée par sa jurisprudence antérieure. Il ajoute ensuite qu’ « il n’y a pas lieu de tenir compte de ce que la cause directe de cette infection a le caractère d’un accident médical non fautif ou a un lien avec une pathologie préexistante ». Le Conseil d’Etat s’oppose donc à ce que la cause directe et surtout première de l’infection à l’origine du dommage soit le déterminant de la qualification même du dommage, c’est-à-dire une infection nosocomiale ou un accident médical non fautif.

La cour administrative d’appel de Nantes [6] avait au contraire rejeté le caractère nosocomial de l’infection en se fondant notamment sur l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique. Ce dernier pose la condition de l’existence chez la victime de « conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celle-ci » pour être indemnisée. Or, selon les rapports d’expertise, la rétractation de la colostomie était due « aux lésions inflammatoires de la paroi colique résultant de la pathologie dont était atteint le patient ». Autrement dit, cette rétractation ne s’est pas produite par le fait fautif des chirurgiens. Cependant, s’ils n’avaient pas réalisé cette colostomie, l’infection ne se serait pas produite. La Cour d’appel a ainsi considéré que cette intervention était la cause directe de l’infection contractée et que, par conséquent, il s’agissait d’un accident médical non fautif et non d’une infection nosocomiale.

Au contraire, le Conseil d’Etat fait de la prise en charge du patient par l’établissement l’élément central de la reconnaissance de l’infection nosocomiale. Le juge judiciaire avait d’ailleurs déjà statué en ce sens en reconnaissant le caractère nosocomial de l’infection même si celle-ci a pu être « provoquée par sa pathologie » [7].

La présomption simple du caractère nosocomial en cas de prise en charge est maintenue mais elle s’avère bien plus difficile à renverser. En effet, toutes les autres causes directes susceptibles d’avoir engendré le dommage peuvent ne pas être prises en compte, comme c’est le cas en l’espèce. Cet arrêt présente donc une extension considérable du champ d’application de l’infection nosocomiale.

Il reste désormais légitime de se questionner sur les véritables conséquences de cette extension. En l’absence de responsabilité d’un professionnel, établissement, service ou organisme réalisant des actes de prévention, diagnostic ou de soins, l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique octroie aux victimes d’accidents médicaux, d’affections iatrogènes ou d’infections nosocomiales une indemnisation par l’ONIAM, au titre de la solidarité nationale. Cet article pose cependant plusieurs conditions cumulatives, à savoir :

  • L’imputabilité à un acte de prévention, de diagnostic ou de soins ;
  • Des conséquences anormales au regard de l’état de santé du patient et son évolution prévisible ;
  • Une certaine gravité calculée à partir de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie de la victime ;
  • Un taux d’atteinte à l’intégrité physique ou psychique supérieur à 25%.

Les victimes des incidents énoncés ci-dessus doivent donc réunir tous ces éléments pour saisir les commissions de conciliation et d’indemnisation et espérer une indemnisation de l’ONIAM. A ce stade, il semble donc difficile de comprendre pourquoi la reconnaissance d’une infection nosocomiale, à défaut d’un accident médical, emporte des conséquences puisque les deux sont pris en charge par l’ONIAM selon les mêmes conditions.

L’article L. 1142-1-1 du Code de la santé publique dispose que les dommages issus d’infections nosocomiales sont pris en charge au titre de la solidarité nationale lorsque la victime présente « un taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique supérieur à 25% ». Il n’est fait état que d’une seule condition, en comparaison avec l’article précédent qui en contient quatre. Si elles atteignent le seuil d’atteinte à l’intégrité, les victimes ont donc tout intérêt à invoquer de façon autonome le second article et peuvent passer outre les trois autres conditions.

Cet arrêt du Conseil d’Etat semble donc faciliter l’utilisation de l’article L. 1142-1-1 du Code de la santé publique comme fondement de l’indemnisation par l’ONIAM. En d’autres termes, si le champ d’application de l’infection nosocomiale s’est agrandi, celui de l’article L. 1142-1-1 l’est aussi

De plus, comme dans de nombreux autres domaines qui touchent au domaine médical, le juge s’autonomise des critères scientifiques pour définir les infections nosocomiales afin de faciliter la réparation du préjudice subi par les victimes de telles infections. 

Néanmoins, il serait intéressant d’adopter un autre terme, comme le fait de plus en plus le monde médical, afin de parler de ces infections. En effet, aujourd’hui les professionnels de santé parlent plus aisément d’infection associée aux soins plutôt que d’infection nosocomiale. L’utilisation d’une telle expression permettrait de comprendre plus facilement ce qu’englobe la notion d’infection nosocomiale, c’est-à-dire toute infection se déclarant à la suite d’une prise en charge par un établissement de santé.

Il est également important de soulever l’intérêt toujours présent et croissant pour les juridictions de définir et d’affiner cette définition des infections nosocomiales afin de faciliter une réparation des victimes, puisque malgré les nombreux efforts pour lutter contre celles-ci, tel que les mesures sanitaires ou encore la mise en place de comités de lutte contre les infections nosocomiales (CLIN) obligatoire dans tous les établissements de santé depuis 1999, ces infections sont toujours fortement présente comme le montre les chiffres, les infections nosocomiales représentant la 4ème cause de décès à l’hôpital [8].


[1] Fondation Recherche Médicale, « Les infections nosocomiales en chiffres », consulté le 05/03/2022, disponible sur https://www.frm.org/recherches-maladies-infectieuses/infections-nosocomiales/focus-les-infections-nosocomiales

[2] Cass., 1ère civ., 21 mai 1996, I, N°219

[3] Cass., 1ère civ., 29 juin 1999, n°97-14.254, 97-15.818, 91-21.903, P+B+R

[4] CE 4ème et 5ème sous-sect., 21 juin 2013, n°347450, Centre-Hospitalier du Puy-en-Velay

[5] CE sect., 23 mars 2018, n°4022378, Mme B…, Epouse T…

[6] CA Nantes, 3ème chambre, 2 avril 2020, n°18NT02898

[7] Cass. civ. 1, 14 avril 2016, n°14-23.909, Publié au bulletin

[8] Ministère des solidarités et de la santé, “Stratégie nationale 2022-2025 de prévention des infections et de l’antibiorésistance”, consulté le 04/03/2022, disponible sur https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/strategie_nationale_2022-2025_prevention_des_infections_et_de_l_antibioresistance.pdf)