Le Professeur est-il un charlatan ?

Le présent article s’inscrit dans le cadre de la 6e chronique en Droit de la Santé du Master Droit de la Santé (UT1 Capitole) avec le soutien du Journal du Droit Administratif.

Océane GRIVEL
étudiante de Master II
Droit de la Santé – UT1
promotion Marie Curie
Laura MEILLAN
étudiante de Master II
Droit de la Santé – UT1
promotion Marie Curie

Résumé d’une procédure disciplinaire devant l’Ordre des médecins

Éléments de contexte

La chambre ordinale fait son entrée, composée de deux femmes et huit hommes. Cette juridiction administrative spéciale est composée de 8 membres du Conseil régional de l’Ordre des médecins, présidée par un magistrat professionnel de l’ordre administratif, en l’occurrence Monsieur P. L. qui est le Président de la Cour Administrative d’Appel de Bordeaux, ainsi qu’une greffière Madame F. D.

La juridiction a pour compétence de déterminer s’il y a eu entorse au code de déontologie médicale, que chaque médecin se doit de respecter dans l’exercice de son art.

Pourquoi à Bordeaux ? Tout simplement pour éviter les conflits d’intérêts, puisque le Professeur R. est un médecin connu et controversé à Marseille, ce déplacement de l’audience avait pour objectif de pouvoir rendre une décision dans une plus grande impartialité et indépendance[1].

Le Professeur R. sera donc jugé par ses pairs pour deux affaires : d’une part pour celle s’agissant d’une plainte déposée par le Conseil Départemental des Bouches-du-Rhône (CDOM 13) à son encontre, d’autre part pour celle d’une plainte déposée par le Conseil National de l’Ordre des médecins (CNOM) et dont Maître C. assurera la défense. Les deux plaintes ont été jointes[2].

Les griefs formulés à l’encontre du Professeur R.

La séance s’ouvre sur un rappel de moult chefs d’accusation parmi lesquels : une infraction à la réglementation des essais cliniques, une surmédiatisation des confrères prônant un traitement non éprouvé par la science (ignorant ainsi la déclaration d’Helsinki de 1964[3]) ou encore, une prescription médicale délibérée d’azythromycine et d’hydroxychloroquine (HCL) pour soigner la COVID-19 par les Professeurs P., B. et R.. Il est également reproché au Professeur R. d’avoir promu un traitement insuffisamment éprouvé, ce qui est constitutif de charlatanisme. Parmi une longue liste d’entorses reprochées au Professeur, nous nous concentrerons sur les trois points principaux que sont : la communication autour du traitement par HCL, le charlatanisme, le manquement au devoir de confraternité et la déconsidération de la profession.

  • Le Professeur R. a-t-il agi comme un charlatan ?  La prescription de l’hydroxychloroquine en débats.

Le charlatanisme prévu à l’article R4127-39 du Code de la Santé Publique (CSP) est défini comme le fait de « proposer aux malades un traitement comme étant salutaire ou sans danger, un remède ou un procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé ».  Cette infraction au code de déontologie médicale est celle qui a retenu l’attention de l’opinion publique durant des mois, sur les réseaux sociaux notamment, sans pour autant en maîtriser les tenants et les aboutissants.

Le Conseil départemental de l’ordre des médecins des Bouches-du-Rhône a présenté quelques observations, il fait le constat que la prescription de ce fameux traitement a été faite en l’absence de données acquises de la science lui donnant du crédit. L’avocat de l’ordre des médecins rappelle que les recommandations temporaires d’utilisation (RTU)[4] de l’hydroxychloroquine ont été refusées par le Conseil d’État le 27 mai 2020[5]. Se posait alors la question de la légitimité de ces prescriptions au regard des obligations découlant du code de déontologie médicale.

L’avocat du Professeur R., Maître D., fait dès lors appel à une jurisprudence connue du Conseil d’État, celle rendue le 19 octobre 2001 dite « Dumas »[6] dans laquelle le juge avait reconnu que les données acquises de la science, qui sont reconnues de manière certaine à l’étranger peuvent être prises en considération afin de justifier le choix thérapeutique d’un médecin dans le cadre de sa liberté de prescription consacrée par l’article L162-2 du Code de la Sécurité Sociale[7]. Il reprend les propos de son client en assumant le renversement de la charge de la preuve, puisqu’en l’absence de recommandations temporaires d’utilisation, il incombe au médecin prescripteur de prouver qu’il existe des données scientifiques pouvant justifier sa prescription. Il rappelle alors que d’autres États utilisent le traitement contesté pour remédier à la COVID-19 tel que le Congo ou la Chine, lesquels ont confirmé l’efficacité de cette thérapeutique. Concernant les décès attribués à l’HCL dans le cadre de la COVID-19, la défense les justifie par des erreurs de dosage qui ont été relayées par une revue scientifique.

Le Professeur est entendu sur ce sujet et explique qu’il a traité plus de 50 000 patients dont

30 000 avec de l’HCL à un stade précoce dans le cadre de la COVID-19 et souligne qu’il a été l’un des premiers à dire que le virus pouvait présenter des variants tandis que d’autres scientifiques présumaient cela impossible. Il aurait été l’un des premiers à mettre en avant la symptomatologie de la COVID-19 et notamment l’importance de la prise de la saturation en oxygène pour déterminer les cas les plus graves. Selon ses dires, ce type de traitement antiviral doit être simplement prescrit avant que la pathologie de la COVID soit trop avancée pour être efficace. D’ailleurs, il fait remarquer que l’Europe aurait investi 1 milliard d’euros dans ce traitement[8]. Il dénonce de surcroît une politisation de l’HCL car ce traitement a ensuite été associé à l’ancien Président américain ainsi qu’au Président actuel du Brésil.

Le Professeur explique s’être également heurté à des détracteurs comme le médecin Nicholas W. qui aurait avancé qu’il fallait absolument procéder à un lavage d’estomac si on absorbait 2,4 mg de chloroquine. Son avocat avait alors plaidé un « procès de la réussite » puisqu’aucun des patients traités par le Professeur n’a été mis en danger, ni même ne s’est retourné contre celui-ci.

Sur ce point, la CDPI soutient les arguments de la défense implicitement dans sa décision du 3 décembre 2021 puisqu’aucune qualification de charlatanisme n’a été retenue dans l’usage de l’HCL. La cour reste évasive sur la question des données scientifiques admises venant de l’étranger, lorsque l’ordre des médecins soutenait qu’il n’était pas conforme au code de déontologie médicale de “se fonder exclusivement sur des études internationales, essentiellement chinoises, à l’exclusion de la position des autorités sanitaires et gouvernementales françaises qui ont écarté l’usage de l’HCL en raison de son inefficacité, voire dangerosité dans certains cas” (décision CDPI, 3 décembre 2021). Dès lors, il est possible de considérer qu’elle valide celles-ci et l’utilisation qui en résulte. Elle poursuit en affirmant que le Professeur a bien assuré des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, c’est en cela qu’il n’a pas commis de charlatanisme car il a en plus été confirmé qu’il avait correctement informé ses patients.  Il s’agissait ici d’un des points les plus attendus par les juristes et l’opinion publique, qui rappelle alors le rôle des données scientifiques obtenues à l’étranger dans la liberté de prescription du médecin même en l’absence de données nationales allant en ce sens, et plus encore en présence d’opposition des autorités nationales. Cela vient renforcer la liberté de prescription du médecin, surtout en période de pandémie.

  • Sur la communication autour de l’HCL auprès d’un public non médical et médical 

Concernant la communication que le Professeur a effectué autour de son traitement, celui-ci affirme qu’il utilisait sa chaîne YouTube et son compte Twitter afin d’apporter des informations à un public non averti en la matière, que ses communications n’avaient que pour but de partager ses connaissances et ses opinions. Le Conseil départemental s’est par ailleurs dit surpris par les canaux de communication utilisés par le Professeur consistant (YouTube ou Twitter) afin de promouvoir l’HCL et le dispensant ainsi d’échanges avec ses pairs. Pour se justifier, le Professeur R. assume avoir voulu déjouer les médias dont l’unique but serait de faire de l’audimat. A titre d’exemple, il cite qu’un professeur de mathématiques se serait insurgé contre l’HCL dans les médias en arguant qu’il s’agissait-là d’un traitement dangereux : mais quelle était donc la compétence scientifique de cet enseignant pour donner un tel avis ? Le Professeur R. préfère en effet “discuter avec des personnes qui le comprennent”.

Le professeur et son avocat ont poursuivi sur la liberté d’expression de celui-ci, qui est une composante de son indépendance en tant que médecin mais surtout en tant que Professeur des universités et chercheur. Son avocat a invoqué les articles L952-2 et L141-6 du code de l’éducation pour appuyer son propos d’immunité du professeur concernant les propos qu’il a pu tenir à propos de la promotion de son traitement.

Il est rappelé par l’avocat du CDOM 13, Maître C. que de tels propos ont été une source de cacophonie dans la prise en charge des patients, puisqu’il lui a été rapporté l’agressivité des patients demandant ce traitement. Il en profite pour rappeler qu’en raison de sa notoriété grandissante, le professeur était suivi et écouté par de nombreux concitoyens qui n’ayant pas les connaissances requises ont pris ses interventions comme la seule vérité. Cela aurait contribué à amoindrir la confiance en la science et en les autorités chargées de la gestion de crise.

A cet égard, il rappelle que le professeur est respecté pour son travail, mais que le CDOM se devait d’agir puisque sa devise première est « au service des médecins, dans l’intérêt des patients ». Il a également questionné la position que le professeur a adoptée durant les communications qui lui sont reprochées et rappelle que sa qualité de médecin est indissociable de celle de professeur des universités : ainsi les règles s’y afférant sont cumulatives.

L’argument du Professeur consiste à dire que « beaucoup d’informations circulent dans la presse mais que l’important demeure de soulager toujours et de guérir parfois. »

« Quel a été le rôle de votre chaîne YouTube et le Code de Déontologie Médicale s’y applique-t-il selon vous ? »

Le Professeur explique avoir fait cette chaîne « pour son opinion et qu’il existe un hiatus de plus en plus grand dans le domaine de la connaissance. » Il poursuit en disant s’être « heurté au bas niveau de connaissance de ses médiateurs » et « ne pas croire que le Code de Déontologie Médicale s’applique » à sa chaîne car il s’agirait de « dimensions différentes ».

« Parliez-vous sur votre chaîne YouTube en qualité de Praticien Hospitalier ou en tant que Professeur R. ? Vos interventions dans ce cadre-là sont-elles détachables de la mission de Service Public ? » Pour Maître C., cette chaîne YouTube fait partie intégrante de ses fonctions mais il appartient au Professeur R. de déterminer la qualité avec laquelle il s’exprimait.

La CPDI a sur ce point suivi le CDOM 13 puisqu’elle a reconnu que le Professeur avait méconnu les articles R4127-13 et R4127-14 du code de la santé publique. En effet, ses communications au public non médical et médical ne reposaient pas sur des données scientifiques suffisamment éprouvées. Le Professeur aurait dû faire usage de réserves en affirmant son opinion. Cette décision confirme les arguments de Maître C. sur l’indissociabilité des missions de médecins et de professeur des universités, la liberté d’expression existe certes, mais elle est encadrée par les obligations qui reposent sur tout médecin.

  • Confraternité et déconsidération de la profession

Il est reproché au Professeur d’avoir manqué à ses devoirs déontologiques de confraternité prévus par l’article R4127-56 du code de la santé publique. Il s’agit d’entretenir des rapports corrects entre médecins, de chercher la conciliation en cas de conflit avec un confrère et notamment de s’assister dans l’adversité. Ce grief est très lié à la communication faite par le professeur vis à vis de sa chaîne YouTube et de son compte Twitter, il lui est principalement reproché par l’Ordre des médecins d’avoir nui à la confraternité. En effet en affirmant que les autres médecins devraient prescrire de l’HCL, il aurait semé le trouble entre les médecins adhérents ou non à ce traitement. Par ailleurs, le Professeur se voyait reprocher la déconsidération de la profession prévue à l’article R4127-31 du code de la santé publique, laquelle correspond au fait d’effectuer tout acte, même en dehors de ses fonctions qui pourrait être de nature à porter préjudice à la profession.

En l’espèce, peu de griefs ont été formulés et débattus sur ce sujet lors de l’audience, si ce n’est que le Professeur tenait sa position selon laquelle certains de ses confrères n’avaient pas le même niveau de connaissances. Revient une phrase de ses propos tenus à propos de ses confrères qu’il aurait qualifiés de “fous” lorsqu’ils ne prescrivaient pas de la chloroquine.

La CDPI retient alors que le professeur s’est exprimé “à plusieurs reprises dans plusieurs médias de manière peu correcte, discourtoise, voire agressive à l’encontre de médecins” ainsi qu’envers des personnes n’ayant pas la qualité de médecin. Elle retient que ces allégations sont de nature à déconsidérer la profession. C’est à ce titre qu’elle relève un manquement aux articles R4127-31 et R4127-56 du CSP sans revenir plus en détail sur les propos en question. Enfin, il est rappelé que les propos du professeur ont donné lieu à des conflits avec plusieurs médecins ou les ont aggravés, et celui-ci n’a pas recherché la conciliation ce qu’il aurait dû faire au regard de son obligation de respecter le devoir de confraternité.

La décision finale

En raison de tous les griefs énoncés, le professeur se voit infliger un blâme, qui est une sanction correspondant au deuxième niveau en termes de gravité. En effet une sanction pour un médecin peut aller du simple avertissement, au blâme, à une interdiction d’exercice de la médecine avec ou sans sursis et dans le cas d’une violation grave du code de déontologie médicale, une radiation du tableau de l’ordre, selon l’article L4124-6 du code de la santé publique. C’est bien un blâme qui a été prononcé, or nous n’avons pas plus d’informations sur les motifs qui ont conduit la CDPI à prononcer celle-ci, car elle a un pouvoir discrétionnaire et n’est pas obligée de communiquer les motivations exactes qui ont fondé son choix. 

Cette sanction est jugée comme une victoire pour l’avocat du Professeur R. qui affirmait « C’est une victoire, incontestablement. C’est une décision d’apaisement politique… Toute la partie relative au charlatanisme et à la prescription n’a pas été retenue.” confiait-il aux journalistes de FranceSoir[9]. Toutefois, la légèreté de la sanction n’a pas semblé satisfaire l’Ordre des médecins qui a formé un appel le 17 décembre 2021[10].

Nous n’avons à ce jour pas d’informations en la matière, mais il semblerait que cette bataille ne soit pas terminée.

P-S : La décision fera l’objet d’une publication si le greffe l’autorise.  


[1] « [L’audience a été] délocalisée en Nouvelle-Aquitaine pour échapper au microcosme marseillais et aux potentielles tensions liées à la popularité locale de Didier Raoult. » Le professeur Raoult blâmé pour sa communication, pas pour son traitement à l’hydroxychloroquine. (2021, décembre 7). Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/12/07/le-professeur-raoult-blame-pour-sa-communication-pas-pour-son-traitement-a-l-hydroxychloroquine_6105056_3244.html

[2] Affaire n°21 161 : plainte de l’Ordre départemental des Médecins des Bouches-du-Rhône contre Professeur RAOULT

Affaire n°21 175 : plainte du Conseil National de l’Ordre des Médecins sur les fondements des articles 4126-1 et L4124-2 du Code de la Santé publique

[3] WMA – The World Medical Association-Déclaration d’Helsinki de L’AMM – Principes éthiques applicables à la recherche médicale impliquant des êtres humains. (s. d.)

[4] Prescription hors Autorisation de Mise sur le Marché pour une durée maximale de 3 ans. Recommandation temporaire d’utilisation (RTU)—Ministère des Solidarités et de la Santé. (s. d.). Consulté à l’adresse https://solidarites-sante.gouv.fr/soins-et-maladies/medicaments/glossaire/article/recommandation-temporaire-d-utilisation-rtu

[5] Décret n° 2020-637 du 27 mai 2020 modifiant le décret n° 2020-73 du 31 janvier 2020 portant adoption de conditions adaptées pour le bénéfice des prestations en espèces pour les personnes exposées au coronavirus

[6] Conseil d’Etat, 4 / 6 SSR, du 19 octobre 2001, 210590, publié au recueil Lebon. Consulté à l’adresse https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000008016841

[7] « Dans l’intérêt des assurés sociaux et de la santé publique, le respect de la liberté d’exercice et de l’indépendance professionnelle et morale des médecins est assuré conformément aux principes déontologiques fondamentaux que sont le libre choix du médecin par le malade, la liberté de prescription du médecin, le secret professionnel, le paiement direct des honoraires par le malade, la liberté d’installation du médecin, sauf dispositions contraires en vigueur à la date de promulgation de la loi du n°71-525 du 3 juillet 1971 »

[8] Remdesivir : Le scandale à un milliard d’euros du faux traitement de la COVID-19 acheté par la Commission. (s. d.). Consulté à l’adresse https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/E-9-2020-006511_FR.html

[9] Le professeur Raoult écope d’un blâme : Une décision « politique » mais « pacificatrice », pour Me Di Vizio. (2021, décembre 3). FranceSoir. https://www.francesoir.fr/politique-france/le-professeur-raoult-blame-ordre-des-medecins

[10] Le Conseil national de l’ordre des médecins fait appel du blâme infligé au professeur Didier Raoult. (2021, décembre 17). Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/sciences/article/2021/12/17/le-conseil-national-de-l-ordre-des-medecins-fait-appel-du-blame-inflige-au-professeur-didier-raoult_6106541_1650684.html