Chronique JDA En avant du Master !

Mon Espace Santé ?

Le présent article, rédigé par M. Hugo Ricci (doctorant en droit public, UT1 Capitole, IMH) s’inscrit dans le cadre de la 6e chronique en Droit de la santé du Master avec le soutien du Journal du Droit Administratif.

par Hugo RICCI
doctorant en droit public, UT1 Capitole, IMH
Référent du Vaccinodrome de Toulouse,
Centre Hospitalier Universitaire de Toulouse

Mise en place de « Mon espace santé »,
le nouveau « E-Carnet de santé »

Captures d’écrans réalisés sur les sites institutionnels du Ministère de la Santé (Mon espace santé) et de l’assurance maladie (pour l’image en couverture)

Après près de vingt années de difficultés dans la mise en place d’un dossier médical personnel, puis partagé, pour enfin aboutir à « mon espace santé » qui inclus le DMP comme une sous-rubrique, enfin en 2022, le service unique est mis en place, et à vocation à devenir un véritable e-Carnet de santé. La première rubrique concerne donc le DMP, avec un certain nombre d’informations qui sont relatives aux données de remboursements, automatiquement alimenté par l’assurance maladie, à des documents médicaux (résultats d’examens, antécédents médicaux, comptes-rendus d’hospitalisation…) à condition d’être saisi par le patient ou le praticien de façon proactive, les volontés de l’assuré (directives anticipés et certificat de prise de connaissance des dispositions réglementaire relatif au don d’organes et de tissus.

Un second volet est articulé autour d’un agenda de santé, non fonctionnel à l’heure de la rédaction du présent document, mais qui devrait permettre d’enregistrer ses rendez-vous médicaux afin d’assurer une traçabilité de ceux-ci (qui pourraient en réalité être directement incrémenté sur la base de remboursement de l’assurance maladie, mais ce n’est pas prévu ainsi).

Un troisième volet, très intéressant et assez novateur est la mise en place d’une messagerie, sur la base du numéro d’identifiant au répertoire (du type NIR@patient.mssante.fr). Novateur car créé de façon automatique et sans démarche pour le patient (si ce n’est d’avoir activé son espace), et surtout il s’agit d’une messagerie sécurisée qui permettra directement d’échanger avec son praticien. Probablement chronophage pour ces derniers, cela permettra peut-être pourtant d’éviter certaines prises de rendez-vous, par exemple simplement pour se voir commenter des résultats d’analyses médicales ne le nécessitant pas.

Enfin, le quatrième volet, probablement celui sur lequel les patients seront le plus méfiant, sont l’accès à des applications « utiles pour la santé ». Sur la base d’un catalogue d’application sélectionné par l’Etat (dont la commission voit à peine sa composition et son fonctionnement être défini)[1], certaines applications (développées par des acteurs publics ou privés) pourront être directement rattaché à cet espace santé. Des applications présentées comme entrant dans le domaine « de la santé et du bien-être », laissent en effet assez perplexe, alors même que la question des applications « Santé » peuvent présenter de nombreux risques de mauvaises interprétations ou de biais scientifiques[2], sans parler des collectes de données à grande échelle[3], tout particulièrement sur les objets connectés de santé[4], et la transmission des données personnelles de santé[5] à toute personne accédant à cet e-carnet. Cela nous semble quelque peu éloigné du serment d’Hippocrate originel qui proclamait « quoi que je vois ou entende en société pendant l’exercice ou même hors l’exercice de ma profession, je tairai ce qui n’a pas besoins d’être divulgué, regardant la discrétion comme un devoir en pareil cas ». Certes, c’est ici le patient qui serait tenté de communiquer, parfois sans vraiment en être informé, des données sur ses habitudes de vie à son médecin, mais quelle problématique cela pourrait engendrer ? Les dérives pourraient être nombreuses, notamment pour l’assurance maladie, qui pourrait refuser de rembourser certaines prises en charge au vue des données jugés comme « insuffisantes » au regard d’une activité physique par exemple ? A quoi bon prendre en charge des pathologies si les patients « ne se prennent pas en charge » ?

La Sécurité Sociale a déjà été tentée d’appliquer ce raisonnement dans le cas de l’apnée du sommeil : si le patient n’utilisait pas l’appareil fourni par la sécurité sociale, il devait le rendre ou le rembourser. Par suite d’un recours pour excès de pouvoir, le Conseil d’Etat a censuré cette mesure le 28 novembre 2014[6], fondé sur l’incompétence des autorités, et notamment du ministre, à prendre cette décision. Méfiance donc sur cette « M-Santé ».

Contre toute attente, le volet du dossier pharmaceutique du patient n’a pas vu le jour, et la seule possibilité pour y attacher les médicaments et la saisie manuelle des traitements chronique, par le patient, où en passant pas une dématérialisation des ordonnances (envoyé par messagerie sécurisé), mais qui ne comprend pas de plateforme nationale partagé par les pharmacies… et ne pourra donc pas remplacer le papier. Dommage donc, pour une plateforme numérique, de devoir envoyer un document numérique pour être finalement imprimé, ou au contraire proposer un document papier qui devrait être scanné par le patient… Sans parler du discours du ministre de la santé, qui mentionne clairement lors du discours d’inauguration de ce nouvel espace qu’il sera plus simple de retrouver sur un unique site tout ses documents numériques… pour « les imprimer [et] les apporter lors de son admission »[7]. Cet oubli fera cruellement défaut aux équipes médicales d’urgences, qui pourraient certes accéder au dossier médical du patient, mais ne pourrait y retrouver les traitements en cours de façon automatisés…

Le réel défi technologique de demain sera de basculer et de centraliser les données de prise en charge des patients sur un unique « E-Carnet de santé », qui remplacera définitivement les ordonnances papier par une réelle numérisation, partagé. Et il ne suffit pas de mentionner le mot « partagé » pour que cela en soit la réalité…


[1] Arrêté du 24 février 2022 relatif à la composition et au fonctionnement de la commission de référencement des services et outils numériques au catalogue de service de l’espace numérique de santé

[2] Rapport de la HAS, Évaluation des applications dans le champ de la santé mobile (mHealth). État des lieux et critères de qualité du contenu médical pour le référencement des services numériques dans l’espace numérique de santé et le bouquet de services professionnels, juin 2021

[3] Rapport de la HAS, Référentiel de bonnes pratiques sur les applications et les objets connectés en santé (Mobile Health ou mHealth), octobre 2016

[4] Article L.5211-1 et R.5211-1 du Code de la Santé Publique

[5] Définies pour la première fois par le Règlement Européen n°2016/679 du 27 avril 2016

[6] Voir en ce sens la décision du Conseil d’Etat, 28 novembre 2014, n°366931

[7] M. Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé, Discours conférence de presse – Lancement de mon espace santé, 3 février 2022