Chronique JDA

Retours sur le vaccinodrome toulousain…

Le présent article, rédigé par M. Hugo Ricci (doctorant en droit public, UT1 Capitole, IMH) s’inscrit dans le cadre de la 6e chronique en Droit de la santé du Master avec le soutien du Journal du Droit Administratif.

par Hugo RICCI
doctorant en droit public, UT1 Capitole, IMH
Référent du Vaccinodrome de Toulouse,
Centre Hospitalier Universitaire de Toulouse

Mise à contribution de tous les étudiants des Universités de Toulouse dans le cadre de la campagne de vaccination

Tel Voldemort dans Harry Potter, le mot « Vaccinodrome », connu de tous, ne doit pas être prononcé : l’État ayant refusé dans un premier temps d’ouvrir des centres de ce type, les agences régionales de santé ont donc dû trouver un subterfuge pour ne pas opérer un rétropédalage. Ainsi, ce sont des centres de vaccination de grande capacité (CVGC) qui ont été ouvert un peu partout en France. Fierté toulousaine, le CVGC installé sur l’île du Ramier à été le plus efficace de France avec près de 4250 personnes vacciné lors de son week-end d’ouverture, avec une pointe à plus de 12 500 vaccination dans la période estivale. Cette réussite et cette organisation sans faille est dû à une coordination très fonctionnelle entre les différents services intervenants : CHU, SAMU, SDIS, AASC, SSA, PREF… autant d’initiales ou de signes qui collaborent étroitement depuis de très nombreuses années déjà, et qui ont ainsi l’habitude de fonctionner ensemble quelque soient les circonstances. Toulouse, berceau du premier service d’aide médicale urgente, de la médecine de catastrophe et abritant le « Centre de Réponses au Catastrophe – Toulouse France », unique au niveau européen, est donc plutôt très bien doté en termes d’équipement et de formation.

Au début de la pandémie, en décembre 2020, la plate-forme du SAMU 31 qui accuse généralement 1000 appels en moyenne par jour, accuse un surplus d’appel de 3000 appels par jour, de nombreuses personnes inquiètes appelant pour tout et n’importe quoi, allongeant considérablement les délais de décroché. Cette situation intolérable amène des cadres du SAMU à mettre en place une « cellule covid » et un automate d’appel sur le centre 15 avec un message programmé : « si vous appelez pour le covid, tapez 1, sinon, merci de patienter ». Les appels liés au Covid-19 seront ainsi dévié vers une salle dédiée, permettant d’absorber les appels non urgents, et de maintenir opérationnel le délai de décroché. Et pour armer ce centre, quoi de mieux que de recruter des étudiants en médecine, pharmacie, dentaire…, qui bénéficieront d’une formation dédiée, afin de répondre aux personnes inquiètes comme aux potentiels appels d’urgence ? Ainsi, naissent des « poussins régulateurs », qui seront vite dénommé affectueusement les « pioupious »[1].

Lorsque les premiers vaccins sont mis au point, et qu’il faut organiser les vaccinations pour les personnes prioritaires (personnes à très haut facteurs de risques notamment), il a donc été logique de solliciter ces mêmes agents pour appeler et proposer des rendez-vous à tous ces patients, mais également de contrôler les rendez-vous pris en ligne via la plateforme KelDoc : beaucoup de personnes âgés ayant des difficultés à prendre rendez-vous sur internet, ce sont les familles qui ont été mise à contribution, parfois sans concertation, et ce sont ainsi des milliers de rendez-vous pris en doublons qu’il a fallu gérer, déprogrammer, réorganiser…

Et lorsque la mise en place des vaccinodromes sont annoncés, qui de mieux que ces intervenants, aidés par les agents, pour gérer les flux de plus de 2000 patients par jour pour contrôler la température, orienter, vérifier les rendez-vous, les contre-indications, enregistrer, vacciner, surveiller, tracer, saisir sur le site de l’assurance maladie. Le soucis suivant a été de trouver des personnes compétente pour vacciner ces afflux de patients ; heureusement, un décret[2] a considérablement élargi la liste des personnels autorisé à administrer les vaccins, permettant un meilleur roulement des vaccineurs ; qui peuvent piquer jusqu’au rythme effréné d’un patient toutes les deux à trois minutes environ, puisque les centre de vaccination sont organisé sur le principe du fordisme et de la séparation des tâches, avec une marche en avant (les patients rentrent d’un côté, et suivent un cheminement sans jamais faire marche arrière).

Avec l’accélération de la vaccination permises grâce aux livraisons massives de doses de vaccins, une idée extraordinaire est proposé : permettre à tous les étudiants des universités toulousaines de renforcer les équipes en place, sur des postes administratifs qui ne nécessitent aucune connaissance médicale, afin d’une part de permettre au CVGC de tourner 7 jours sur 7, en prenant en compte des repos, mais également en permettant de proposer des emplois sous la forme de contrat de vacataire pour les étudiants, qui, rappelons-le, sont souvent en grande difficulté en raison des contraintes sanitaires ayant supprimé beaucoup d’emploi saisonnier.

Une campagne de recrutement de quelques 3000 agents administratifs voit ainsi le jour : l’occasion de souligner l’incroyable logistique que cela nécessite : vêtement professionnel commandé dans toutes les tailles, gestions des plannings jusqu’à 600 personnels par jour réparti sur 3 créneaux horaires différents, intégrant des fonctionnalités avancés en fonction des compétences propres de chacun, encadrement de ces personnels, encadrement des encadrants… sans oublier évidemment le ravitaillement, la gestion administrative, la formation, etc. Une logistique à grande échelle, une collaboration extraordinaire, des uniformes de toutes les couleurs, pour un seul et même objectif au service de l’intérêt général : accueillir, informer, vacciner. Et de façon accessoire, être rémunéré pour ce travail[3].

Et l’intérêt général se réinventant en vertu du principe de mutabilité, une véritable optimisation se met en place, et grâce à une communication interne entre les secteurs de préparation du vaccin et de la vaccination, mais également de tous les secteurs administratifs (accueil, secrétariat, impression des certificats…) et de suivi (triage médicale, surveillance post-vaccination, équipes médicales si besoin…), le Vaccinodrome Toulousain a réussi l’incroyable exploit de vacciner 13 500 personnes en une journée… soit le rythme initial hebdomadaire lors de l’ouverture, faisant de ce modeste centre, le plus grand Vaccinodrome d’Europe. Au total, près de 663 000 injections ont été réalisées, soit plus d’un tiers des injections réalisées en Haute-Garonne…

La réinvention du service public de vaccination en situation sanitaire exceptionnelle fera l’objet d’un congrès très prochainement[4], autour des 3 piliers qui ont animé tant de défis : Médecine, Droit et Pharmacie.


[1] En référence au film « Les Oiseaux » réalisé par Alfred Hitchcock (Universal Pictures)

[2] Décret n° 2021-248 du 4 mars 2021 modifiant les décrets n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 et n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire

[3] A l’heure de la sortie du rapport public annuel 2022 de la Cour des Comptes, la précision est importante, celle-ci soulevant que le soutien aux étudiants a été “tardif” et “décevant”.

[4] Congrès Interdisciplinaire, Vaccination en situation sanitaire exceptionnelle : retour d’expérience du plus gros vaccinodrome d’Europe, le jeudi 7 avril 2022 à Toulouse (UT1).