Chronique JDA Droit(s) de la Santé

CE, 11 janvier 2022 (portdu masque en extérieur)

Le présent article rédigé par M. Vianney Marie-Joseph, Doctorant en droit public, Université d’Aix-Marseille, Centre Droit de la Santé, s’inscrit dans le cadre de la 6e chronique en Droit de la Santé du Master Droit de la Santé (UT1 Capitole) avec le soutien du Journal du Droit Administratif.

par M. Vianney Marie-Joseph,
Doctorant en droit public,
Université d’Aix-Marseille,
Centre Droit de la Santé

Observations sous CE, 11 janvier 2022,
req. n° 460002

Un épisode supplémentaire à la controverse créée par les mesures prises par le gouvernement afin de lutter contre la pandémie sur le territoire national. Cette fois, la question est relative à la question port du masque en extérieur dont l’utilisation est ressentie comme de moins en moins nécessaire par la population, ressenti palpable à l’épaisseur du contentieux sur la question, au fur et à mesure de l’avancée de la situation sanitaire. Le 11 janvier 2022, le Conseil d’État rend une énième ordonnance dans le cadre d’une requête en référé-liberté sur le fondement de l’article L.521-2 du code de justice administrative réalisée par un justiciable à la suite d’une déclaration en conférence de presse donnée par le Premier ministre le 27 décembre 2021.

A l’occasion d’une déclaration du 27 décembre 2021[1] relative aux mesures de lutte contre la COVID-19, le Premier ministre a déclaré que, au regard de la situation sanitaire au moment de sa déclaration, « A compter de la rentrée [celle de janvier 2022] (…) l’obligation du masque, déjà partout applicable en intérieur, sera étendue et mieux respectée, notamment dans tous les centres villes. Les préfets adopteront les dispositions correspondantes en lien avec les maires ».

A la suite de ce discours, un référé-liberté a été engagé. Le justiciable, à l’occasion de sa requête adressée au Conseil d’État, a formulé plusieurs demandes. Tout d’abord, de « constater le consensus scientifique sur le caractère inutile sur le plan sanitaire du port du masque en extérieur » tout autant que « l’absence de tout élément tiré de ce que le variant Omicron changerait ce consensus ». De constater que « nonobstant ce consensus », la déclaration du Premier ministre a abouti à la recrudescence d’arrêtés prévoyant une obligation du port du masque en extérieur. Afin d’encadrer cette pratique, il demande que soit enjoint au gouvernement de prendre un décret précisant les cas dans lesquels les préfets pourront instaurer. De surcroît, qu’à ce décret, s’ajoute une circulaire précisant des « critères objectifs » tirés des dispositions propres aux lieux fréquentés, conformément à l’évolution des connaissances scientifiques » seuls aptes à justifier l’édiction d’une obligation du port du masque en extérieur.

Sur un plan moins juridique, le requérant demande que le gouvernement précise sa politique sur la question du port du masque en extérieur et que le ministre de la santé et des solidarités revoit sa politique d’incitation des préfets au port du masque en extérieur « au vu des données scientifiques stables et non-contestées qui affirment l’inutilité de l’obligation du port du masque en extérieur, sauf zone de particulière densité ». La dernière partie de cette demande s’explique notamment par le fait que, selon la loi du 31 mai 2021, ne peut prendre de décret pour imposer des restrictions sanitaires que sur rapport du ministre chargé de la santé.

L’existence de la loi du 31 mai 2021[2], prévoyant déjà la possibilité « d’habiliter le représentant de l’État territorialement compétent à prendre toutes les mesures générales ou individuelles » pour « réglementer les rassemblements de personnes, les réunions et les activités sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public », conduit le Conseil d’État à interpréter la demande du requérant comme tendant à « la suspension de l’exécution de la décision du Premier ministre de donner instruction aux représentants de l’État territorialement compétents de mettre en œuvre l’obligation du port du masque en extérieur prévue au II de l’article 1er du décret du 1er juin 2021[3] ».

Les arguments du requérant se concentrent autour de l’état des données scientifiques ainsi que sur le taux de vaccination de la population comme ne permettant pas, l’un comme l’autre, d’appuyer la mise en place d’une mesure portant obligation de porter le masque en extérieur. A cela, il ajoute que les conditions d’application de cette obligation ne sont pas suffisamment encadrées, ce qui aboutit à porter une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté individuelle, à la liberté d’aller et venir, à la liberté de réunion et au droit à la protection de la santé.

Le Conseil d’État répond aux moyens du requérant en précisant que, « au regard des données et recommandations scientifiques disponibles à la date de la présente décision », il demeure une probabilité de contamination dans le cas de rassemblements extérieurs « en cas de forte concentration de population dans un lieu de plein air », rendant valable l’édiction d’une obligation de port du masque en extérieur « lorsque la situation épidémiologique localement constatée le justifie ». Il ajoute que l’édiction d’une obligation du port du masque en extérieur doit, en l’application du IV de l’article 1er de la loi du 31 mai 2021, être « strictement proportionnée aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu », lesquels risques se matérialisent lors d’événements à l’occasion desquels il n’est pas possible « d’assurer la distanciation physique [se déroulant] aux lieux où les personnes peuvent se regrouper, tels que les marchés, les rassemblements sur la voie publics ou les centres-villes commerçants, les périodes horaires devant être appropriées aux risques identifiés ». Le Conseil d’État estime alors que les critères précédemment évoqués, suffisamment stricts et précis, permettent un contrôle juridictionnel de la validité d’une mise en place d’une telle obligation. C’est ainsi qu’il rejette la demande du requérant en considérant que, dans ces conditions, les instructions du Premier ministre ne portent pas une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés invoquées par le requérant.

Plusieurs éléments sont ici à souligner. Tout d’abord, cette décision du Conseil d’État permet de constater que les déclarations du Premier ministre peuvent faire grief dans la mesure où il qualifie la partie attaquée de son discours comme une décision. Celle-ci est considérée comme telle au regard du fait qu’elle prescrit un comportement déterminé aux représentants de l’État territorialement compétents pour exercer les mesures prescrites, en l’occurrence les préfets de département. Sur ce point, cette décision est dans la droite poursuite de la décision de section du Conseil d’État GISTI[4] selon laquelle « les documents de portée générale émanant d’autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l’excès de pouvoir lorsqu’ils sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices ».

Ensuite, il apparaît que les mesures prises durant la crise sanitaire actuelle se justifient dès le moment de la matérialisation d’un risque sanitaire, sans qu’un seuil soit déterminé. Au regard de la formulation de la décision du Conseil d’État qui évoque une possibilité « qui ne peut être exclue », sa simple existence, peu important le niveau de probabilité de sa réalisation suffit.

Enfin, l’existence de conditions permettant l’exercice d’un contrôle juridictionnel est considérée par le Conseil d’État comme une garantie que l’atteinte résultant de la mise en place des mesures dont l’application est demandée par le premier ministre ne comporte pas de caractère grave et manifestement illégal, cette seule atteinte permettant une annulation à l’occasion d’une procédure de référé-liberté.


[1] Déclaration de M. Jean CASTEX, Premier ministre, « Mesures de lutte contre la COVID-19 », Hôtel de Matignon, lundi 27 décembre 2021, Service de Communication du Premier ministre.

[2] Loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de la crise sanitaire, JORF n° 0125 du 1er juin 2021.

[3] Décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, JORF, n° 0126 du 2 juin 2021.

[4] CE, section, 12 juin 2020, n°418142, publié au recueil Lebon.