Master Droit de la Santé

Observations de droit étranger sur la vente en ligne de médicaments

Le présent article rédigé par Mmes Clarisse RAZOU & Louise VIEZZI-PARENT, étudiantes (promotion Joseph Ducuing) du Master (II) Droit de la santé de l’Université Toulouse Capitole, s’inscrit dans le cadre de la 7e chronique en Droit de la Santé du Master Droit de la Santé (UT1 Capitole)
avec le soutien du Journal du Droit Administratif.

Vente de médicaments sur internet :
étude comparée
de l’état du droit américain & français

Le médicament n’est pas un produit comme les autres, tant d’un point de vue interne, régional, qu’international. Ses effets peuvent être néfastes et nécessitent alors une règlementation strictement encadrée. En effet, son étymologie est tirée du grec « pharmakon » qui représentait à la fois le poison et le remède ainsi que du mot « pharmakos » qui était la personnification du sacrifice[1].

En France, sa définition est posée à l’article L5111-1 du Code de la santé publique (CSP) qui considère comme médicament à usage humain, « toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines, ainsi que toute substance ou composition pouvant être utilisée chez l’homme ou pouvant lui être administrée, en vue d’établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier ses fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique ». Néanmoins, cette définition n’est pas l’œuvre d’une initiative française puisqu’elle est la transposition, en droit interne, de la directive du 26 janvier 1965[2] qui sera elle-même, reprise en droit de l’Union européenne par une directive du 6 novembre 2001[3] au titre premier. Aussi, en droit interne, le médicament est posé sous la coupe du strict monopole des pharmaciens dont seuls eux peuvent assurer la fabrication et la vente – exit les herboristes – , en vertu de la loi du 11 septembre 1941[4].

D’un point de vue plus élargi, soit au niveau de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dont sont membres à part entière les États-Unis et la France, les médicaments sont définis comme les « préparations médicales utilisées dans la médecine moderne et traditionnelle, qui sont indispensables pour prévenir et traiter les maladies ainsi que pour protéger la santé publique »[5].

Bien que les deux pays soient membre de l’OMS, l’appréciation des risques liés aux médicaments reste très personnelle et ne fait pas l’objet de la même interprétation, en France, ou outre Atlantique. Les pharmacies en ligne en restent l’exemple le plus parlant à l’heure où le numérique tente de prendre une place importante dans l’amélioration de la santé de ses utilisateurs.

Aussi, depuis le 24 janvier 2023, Amazon a lancé un nouveau service de pharmacie en ligne appelé « RxPass » qui permet désormais à ses membres primede pouvoir commander un illimité, quatre-vingts médicaments soumis à prescription moyennant un supplément de cinq dollars par mois[6]. Néanmoins, Amazon n’a pas communiqué sur les moyens de vérifications de telles prescriptions, ce qui laisse de nombreux questionnement en la matière.

La création de ce nouveau service est un pas de plus du géant américain dans le domaine de la e-santé. Son insertion dans le marché est de plus en plus importante depuis la pandémie de Covid-19.

En effet, tout d’abord fût crée un service nommé Amazon Care, lancé en 2019, mais qui n’existe plus à l’heure actuelle, centré sur les salariés d’Amazon et qui « connectait virtuellement médecins ou infirmiers aux patients 24 heures sur 24 »[7]. Il fût supprimé pour mettre en service Amazon Clinic, au 31 décembre 2022, un service auquel plus de monde aurait accès, permettant de consulter pour des soins mineurs en ligne. L’idée de la pharmacie en ligne n’est quant à elle pas une innovation d’Amazon, mais son nouveau programme de fidélisation de la clientèle via un service dédié à la pharmacie l’est.

Cette nouveauté, quelque peu choquante aux yeux de juristes en droit de la santé français, permet de s’interroger sur les différences entre les législation américaine et français sur la dispensation du médicament en ligne.

Ces questions amènent ainsi à comparer la législation, permissive mais régulée (I), face au géant américain, libéral et peu codifié (II).

I. L’état du droit français : de l’interdiction à la permission strictement encadrée

L’émergence de la vente de médicaments en ligne en France n’est pas nouvelle puisque les questions qui s’y attachent datent du début du XXIe siècle (A), néanmoins, cette apparition a nécessité la mise en place de différents types de responsabilité s’appliquant au pharmacien qui s’adonnerait à ces activités (B).

A. L’émergence de la vente de médicaments en ligne en France

La construction d’un système de vente en ligne de médicaments en France, n’aurait probablement jamais aussi vite vu le jour sans l’impulsion donnée par la Cour de justice des communautés européennes (1), ayant néanmoins nécessité un changement de la législation française dans un but d’encadrement (2).

  1. De la construction d’une législation française sur la vente de médicaments en ligne sous l’impulsion de l’Union européenne

La question de la vente des médicaments en ligne n’est pas nouvelle puisqu’elle faisait déjà partie, dans les années 2000, des préoccupations de l’Union européenne. D’un point de vue national, l’interdiction formelle des médicaments posée par les autorités françaises n’a eu de cesse d’interroger la doctrine sur la mise en œuvre d’une telle réforme, d’autant plus que des pays frontaliers connaissaient déjà ce mode de fonctionnement[8]. Des propositions de modification de notre Code de la santé publique naissait ainsi dans la tête des auteurs[9].

D’un point de vue communautaire, la question d’une harmonisation des modes de vente des médicaments s’est posée par l’arrêt DocMorris du 11 décembre 2003[10]. Dans ce dernier, la Cour de justice des communautés européennes jugeait que l’interdiction absolue de la vente des médicaments par internet constituait une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative d’importation (MEERQ). C’est ainsi qu’elle jugeait qu’“Une interdiction nationale de vente par correspondance des médicaments dont la vente est réservée exclusivement aux pharmacies dans l’État membre concerné (…) constitue une mesure d’effet équivalent au sens de l’article 28 CE”.

Aussi, il devenait inévitable pour la France d’instaurer une modification de sa législation sous peine de voir fleurir les recours en manquement de l’hexagone de la part du lobby pharmaceutique.

Néanmoins, ce n’est que par une directive du 8 juin 2011 du Parlement européen et du Conseil de l’Union Européenne[11], que la vente de médicament nécessita une transposition en France. Ce fut chose faite par une ordonnance du 19 décembre 2012[12] et par un décret d’application du 31 décembre 2012[13], et ce dans un but de prévention de falsification des médicaments et de frein au développement du commerce parallèle illégal de ces produits.

Aussi, cette nouvelle modification nécessita obligatoirement une modification de notre Code de la santé publique (CSP). La pratique sera légalisée par l’émergence des articles L5125-33 à L4125-41 dans le CSP. Ce changement de paradigme entraînera par ailleurs des contestations de la part des pharmaciens eux-mêmes qui doutaient du réel apport d’un tel procédé. Aussi, Pierre Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) jugeait que “la vente en ligne ne répond pas à une demande des patients, lesquels préfèrent conserver un contact avec le pharmacien. D’autant qu’en moyenne, un patient dispose d’une pharmacie à 8 minutes de chez lui. Je ne vois pas ce qu’Internet peut apporter de plus”[14]. L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), devenue agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé depuis le 1er mai 2012, recommandera par ailleurs à tous leurs internautes de “se méfier de tous les sites qui vendent des médicaments”[15].

Cette pratique ne s’en retrouve pas moins strictement encadrée par les dispositions de l’ordonnance du 19 décembre 2012.

2. De l’encadrement de la vente des médicaments sur internet

La vente des médicaments sur internet reste très strictement encadrée puisque les textes précédemment cités, n’autorisent que la vente de médicaments non-soumis à prescription médicale. Autrement dit, ne sont concernés que les médicaments dits « à prescription médicale facultative » et qui ne nécessitent alors pas d’ordonnance du médecin ayant pris en charge le patient.

Également, l’officine virtuelle, qui serait alors créée dans le but de vendre les dispositifs médicamenteux, doit nécessairement s’appuyer sur une officine physique, ainsi dirigée par un docteur en pharmacie, titulaire d’une licence octroyée par le directeur de l’agence régionale de santé dont il ressort. A contrario de certains pays, la France interdit alors les officines qui n’auraient pas d’existence physique propre.

Si le pharmacien titulaire de l’officine physique souhaite pouvoir ouvrir son propre site internet, il doit alors demander une autorisation au directeur de l’Agence régionale de santé (ARS) qui, en coopération avec l’Ordre des pharmaciens, vérifiera que le site proposé respecte la réglementation en vigueur.

À ces conditions sont venues s’ajouter des recommandations de bonnes pratiques publiées par le Ministère de la Santé par arrêté du 28 novembre 2016[16]. Ces recommandations ne présentent ainsi pas de valeur contraignante envers les pharmaciens sauf à ce qu’elles entrent dans le cadre de la jurisprudence constante du Conseil d’État[17], ce qui ne fait aucun doute.

Aussi, dans un souci de promotion de la qualité des soins pharmaceutiques, d’efficacité optimale des traitements et d’une diminution des risques d’iatrogénie médicamenteuse, le Ministère s’attachera à rappeler que « le site internet de la pharmacie est considéré comme le prolongement virtuel d’une officine de pharmacie autorisée et ouverte au public », selon les conditions définies à l’article L5121-5 alinéa 4 du CSP[18].

Le recueil de données personnelles[19] dans un but d’amélioration de la prise en charge du patient et de la délivrance des produits de santé adapté peut et doit être nécessaire de la part du pharmacien. Aussi, le Ministère conseille qu’avant “la validation de la première commande, le pharmacien met en ligne un questionnaire dans lequel l’âge, le poids, la taille, le sexe, les traitements en cours, les antécédents allergiques, les contre-indications et, le cas échéant, l’état de grossesse ou d’allaitement du patient sont renseignés. Le patient doit attester de la véracité de ces informations”. C’est une condition sine qua non à la délivrance du médicament. Si le questionnaire n’est pas rempli, aucun dispositif médicamenteux ne peut être délivré par le pharmacien. A contrario, une fois le questionnaire rempli, le pharmacien devra le valider et pourra ensuite valider la commande visant à l’envoi du médicament. Ce questionnaire pourra, par suite, être renouvelé à chaque commande en ligne.

Du point de vue des données personnelles, ce sont, de toute évidence, les règles du règlement européen à la protection des données – dit RGPD – qui s’appliquent. Ce sont ainsi les principes de finalité, de proportionnalité et de pertinence, de durée de conservation limitée , sécurité et de confidentialité et des droits des personnes qui s’appliqueront conformément aux dispositions de la Commission nationale informatique et liberté (CNIL)[20].

Des mesures supplémentaires sont préconisées par le Ministère. Le dialogue qui s’instaure notamment et naturellement entre un pharmacien et son patient doit être conservé et les informations comprises par le patient. Les échanges se doivent d’être simultanés, une réponse type chatbot ne saurait ainsi être acceptée. Le devoir d’information du pharmacien inscrit de manière législative à l’article R4235-2 alinéa 2[21] s’en retrouve conservé.

Des conditions supplémentaires sont ajoutées à l’exercice de la pharmacie en ligne. À titre d’exemple, les préparations doivent provenir directement de l’officine physique ayant un site internet, elles ne sauraient être expédiées d’un endroit différent. Dans le cas où la pharmacie ne souhaite pas expédier ses préparations, un service de type “click and collect” pourrait être mis en place avec retrait direct à l’officine concernée.

B. De la responsabilité des pharmaciens dans la délivrance des dispositifs médicamenteux en ligne

Les responsabilités encourues par les pharmaciens sont nombreuses et ne pourront pas toutes faire l’objet d’un développement. Néanmoins, elles iront tant sur le terrain contractuel (1), que sur celui de l’article 1245 du Code civil relatif aux produits défectueux (2).

  1. De l’engagement de la responsabilité du pharmacien en cas de mauvaise exécution du contrat passé électroniquement

L’arrêté du 28 novembre 2016 termine sur la disposition 8.6.2 concernant la livraison des médicaments qui pourraient être commandés en ligne. Aussi, l’envoi d’un médicament non soumis à ordonnance commandé en ligne par l’un de ses patients se fait nécessairement, sous la responsabilité du pharmacien qui dirige l’officine. La vente d’un tel produit suggère alors l’application de l’article L216-1 du Code de la consommation[22]. C’est alors un véritable contrat qui se forme entre le pharmacien et son patient, qui devient ainsi un consommateur du bien commandé. Aussi, en cas de mauvaise exécution du contrat qui lie ces deux derniers, l’article L221-15 du même Code trouvait à s’appliquer puisqu’il concerne expressément la responsabilité du professionnel dans le processus de vente en ligne. Ainsi, “Le professionnel est responsable de plein droit à l’égard du consommateur de la bonne exécution des obligations résultant du contrat conclu à distance, que ces obligations soient exécutées par le professionnel qui a conclu ce contrat ou par d’autres prestataires de services, sans préjudice de son droit de recours contre ceux-ci”. Il existe néanmoins et évidemment des cas d’exonération de responsabilité en cas de fait du tiers, de mauvaise exécution du contrat du fait du consommateur, ou encore en cas de force majeure[23].

Se pose néanmoins, également la question de la responsabilité du fait des produits défectueux imputable à l’activité de pharmacie.

2. La responsabilité du pharmacien en cas de produit défectueux

Pour rappel, une directive du Conseil de l’Union Européenne du 25 juillet 1985[24] est venue poser le principe d’une responsabilité sans faute du fait du producteur lorsque son produit, considéré comme défectueux, a engendré un dommage.

Aussi, l’arrêt de la Cour de cassation de 1936, Dame Mercier posera lui aussi, un considérant de principe qui sera plus tard codifié à droit constant à l’article L1142-1 du CSP : « Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute ».  

Ainsi, seule une faute est susceptible d’engager la responsabilité du professionnel de santé, et plus précisément, du pharmacien. Néanmoins, sa responsabilité pourrait se voir engagée sans faute en cas de « défaut d’un produit de santé ». S’il est producteur du bien qu’il délivre à son patient du fait d’une préparation officinale ou magistrale, et ce, même à distance, sa responsabilité pourra être engagée conformément au droit commun, c’est-à-dire conformément à l’article 1245 du Code civil.

Néanmoins, au cas où il ne serait pas producteur de son produit, sa responsabilité pourrait tout de même se voir engagée du fait de l’article L1142-1 du CSP, et ce, dans un souci d’efficacité et de facilité des démarches. Aussi, une action subrogatoire pourrait tout à fait être exercée par le pharmacien ou par son officine à l’égard du producteur du médicament qui se serait avéré défectueux.

II. Du faible encadrement du médicament en ligne américain aux potentielles conséquences sanitaires désastreuses à l’international

Bien qu’encadré juridiquement, l’achat de médicaments en ligne aux Etats-Unis est assez aisé (A). Cela n’est malheureusement pas sans conséquence pour la santé publique américaine et internationale (B).

A. L’octroi de médicaments aux USA : entre législation et pratique

 La vente de médicaments en ligne est encadrée par la législation américaine (1), ce cadre juridique s’avère en pratique facilement contournable (2).

  1. La législation américaine quant à la vente de médicament

L’étude de la législation américaine suppose le rappel de la forme étatique de cet État. En effet, à la différence de la France qui est un État unitaire, les États-Unis d’Amérique est un État fédéral. Cette organisation étatique prévoit un double échelon décisionnel : l’échelon fédéral et l’échelon fédéré. Il adviendra de cette étude que seule la législation de l’échelon fédéral sera évoquée.

En 1938, le Federal Food, Drug and Cosmetic Act est entré en vigueur. Cette loi fédérale intervient à la suite d’un scandale médicamenteux et va viser à renforcer le cadre en la matière. Ainsi, ce texte accroît les pouvoirs de la Food and Drug Administration (FDA). La FDA, agence fédérale en charge de la sécurité des denrées alimentaires et des médicaments, va avoir pour objectif de veiller à la bonne application du Federal Food, Drug and Cosmetic Act. Ce texte à portée contraignante et va être la source des pouvoirs de la FDA.

Le Federal Food, Drug and Cosmetic Act se trouve dans le Code des Etats-Unis au titre 21, chapitre 9[25]. On peut y trouver la définition de médicament en ces termes « articles prévus pour diagnostiquer, guérir, traiter ou prévenir l’apparition de maladies (…) et des articles (non alimentaires) prévus pour modifier la structure ou une quelconque fonction de l’organisme de l’être humain ou d’autres animaux »[26]. Cette définition, bien que proche de la notion de médicament définie par le Code de santé publique français, interpelle par l’utilisation du terme « article », signe d’une banalisation de la substance vendue. La vente du médicament reste encadrée par la nécessité d’une ordonnance médicale pour se faire délivrer certains produits.

Concernant la vente en ligne, elle est autorisée pour les médicaments dits OTC (c’est-à-dire en vente libre, sans nécessité d’ordonnance). Ainsi, nombre de sites en ligne proposent d’acheter via internet des médicaments. Néanmoins, pour les médicaments soumis à prescription médicale, seuls les sites agréés par la National Association of Boards of Pharmacy (NABP)[27] sont autorisés à réaliser cette pratique.

La FDA appelle tout de même à la vigilance concernant les sites comme Amazon car ils disposent en leur sein de marchants indépendants, provenant parfois de pays ayant des tensions géopolitiques avec les Etats-Unis, vendant des produits similaires à des médicaments mais qui n’en sont en réalité pas.

Bien qu’encadré par le code des États-Unis, le médicament reflète le libéralisme du pays de par sa facile obtention.

2. La procuration de médicament aux Etats-Unis en pratique

De nombreux éléments peuvent surprendre un Français en visite aux Etats-Unis, parmi les plus flagrants se trouve les « pharmacy ». Ces boutiques, que l’on assimilerait en France à des superettes, vendent des articles en tous genres tels que des éléments décoratifs, des cartes, des denrées alimentaires… Plus étonnant encore, n’est pas proscrite la vente d’éléments néfastes pour la santé comme les chips, le tabac ou l’alcool[28]. Puis, généralement au fond de la boutique, se trouvent les médicaments.

Usuellement, les médicaments sont classés par symptômes. Cet agencement va bien évidemment encourager à l’automédication. Les médicaments non soumis à prescription sont finalement considérés comme des articles banaux. Ainsi, vous pourrez acheter le nombre de boîte que vous souhaitez.

Si vous désirez acheter un médicament nécessitant une ordonnance, ne vous inquiétez pas, vous êtes également à la bonne adresse. Au fond de la « pharmacy » se trouve un comptoir où un membre du personnel vous délivrera vos médicaments. Bien que la profession de pharmacien existe, cette personne s’aventurera rarement à des conseils de prise du traitement car ce sont généralement des caissiers ordinaires, sans compétence particulière en pharmacologie.

Reflet du business qu’est le médicament, vous pourrez donc vous en procurer 7 jours sur 7 de neuf à vingt et une heures. Le prix du médicament est directement négocié entre les laboratoires pharmaceutiques et les grandes surfaces. Il n’est donc pas rare de voir des promotions sur des boîtes de médicaments.

Internet est finalement l’aboutissement virtuel de ce libéralisme poussé à l’extrême. Amazon en proposant cet abonnement sur le médicament ne révolutionne pas l’accès à la médication. Les américains ont, en définitive, déjà un accès simplifié aux médicaments en bénéficiant d’amplitude horaires très large, de drive, de prix promotionnels… Amazon se place sur un marché juteux et accroît la concurrence sur un marché loin d’être monopolistique, avec les risques que cela implique pour la santé publique.

B. Les conséquences d’un facile accès à la médication sur la santé publique

Le facile accès à la médication en ligne aux Etats-Unis va nécessairement avoir des répercussions sur la santé publique américaine (1) mais les conséquences risquent de s’étendre à l’international (2).

  1. Les conséquences internes

Les États-Unis font partis des pays où le coût du médicament est le plus élevé. Pour comparer avec la France, les médicaments sont en moyenne 2,5 fois plus chers sur le marché outre Atlantique. De ce fait, nombre d’individus ne parviennent pas à subvenir aux frais qu’impliquent leur médication. Un quart des Américains avoue ne pas pouvoir payer leurs médicaments et ce taux augmente à près d’un américain sur deux pour les personnes ayant une pathologie grave.

Le système assurantiel américain est principalement composé d’assurances privées. Ainsi chaque citoyen cotise selon ses moyens à des assurances qui couvrent plus ou moins de risques et à des taux plus ou moins faibles. Toute de même, les plus démunis bénéficient de l’assurance publique MEDICAID et les plus âgés de MEDICARE. Ces deux systèmes se basent sur la solidarité nationale. Malgré cela, l’accès au soin est très inégalitaire.

Les personnes les plus démunies cherchent donc à avoir un accès aux soins à moindre coût. L’abonnement Amazon va permettre à la population d’accéder à une grande quantité de médicament pour une faible somme. Le premier danger semble évident : la sur-médication. Entre 2011 et 2016 le taux de décès liés à des overdoses ont augmentés de 33% dans le pays[29]. Ces décès principalement dus à la consommation opioïdes, antidouleurs soumis à prescription médicale[30] sont le témoignage que même des médicaments dont la délivrance est encadrée font des ravages du fait de leur surconsommation. Alors imaginons si la consommation provient d’achats en ligne ne bénéficiant pas du contrôle d’un pharmacien.

Le second problème de l’abonnement Amazon est l’absence d’aiguillage par un professionnel de la médecine et/ou de la pharmacologie. Le patient va simplement avoir besoin d’une ordonnance pour passer ses commandes. Comme nous avons pu le voir précédemment les ordonnances sont parfois délivrées de façon rapide, sans réel examen médical. Le patient pourra se procurer les médicaments en ligne, c’est-à-dire sans conseil, ni potentielle mise en garde sur les dangers du la substance. Un simple message informatif s’affiche sur l’écran de l’acheteur qui va bien souvent ne pas le lire. Ce manque d’information peut entrainer une mauvaise médication qui peut elle-même être la conséquence d’apparition ou d’aggravation de pathologies.

Malheureusement, internet est le synonyme de la mondialisation et ces effets néfastes sur la santé publique ne se limitera pas aux frontières américaines.

2. Les conséquences externes

Dans le contexte de globalisation dans lequel nous vivons, l’étendue de sites ayant pour business le médicament est inquiétant.

Amazon est un site américain, se pose donc la question des données personnelles que va récolter la plateforme. Grâce à la vente des médicaments, le géant américain va donc avoir une banque de données importante sur la santé de ses acheteurs.

La protection des données à caractère personnel des citoyens de l’Union européenne est assurée par le règlement général sur la protection des données (RGPD). Les États-Unis ne faisant pas parti de l’espace économique européen, une décision d’adéquation assurant que le pays permettait un niveau de protection adéquat des données devait être instituée. À la suite de l’arrêt Schrems II un accord sur la protection des données personnelles en provenance de l’Europe a été négocié. Cet accord qui va donc donner lieu à une nouvelle décision d’adéquation devrait être adopté dans les mois à venir[31]. En attendant, on ne peut nier que les États-Unis et Amazon ne sont pas les premiers partenaires en matière de sécurité des données. Il est fort probable qu’Amazon utilise les données collectées pour faire des suggestions de consommations aux acheteurs et ainsi les inciter à une consommation accrue de médicaments.

Amazon limite son abonnement au marché américain, où elle dispose des pré-requis juridiques pour entrer sur ce marché qu’est le médicament mais nul doute que les acheteurs ne seront pas qu’américains. Le Darknet représente une part importante du marché[32] et l’on peut craindre qu’en ayant un accès illimité aux médicaments, grâce à leurs abonnements, certains utilisateurs du service revendent la marchandise. Cet accès facile à la médication s’étendrait donc à l’ensemble de la population.

De plus, un potentiel acheteur ne résidant pas aux États-Unis pourrait se créer une adresse fictive en territoire américain. Il aurait simplement besoin d’un collaborateur lui envoyant les colis contenant les médicaments. Cette possibilité reste peu faisable en France tant les services de douanes contrôlent le contenu des colis. Cependant, certains pays où de faibles contrôles douaniers sont mis en place pourraient voir ce genre de pratiques se développer. À noter également, que ce sont souvent des pays dits pauvres qui ont les plus faibles contrôles, pays où la population a difficilement accès aux médicaments. Un véritable marché parallèle pourrait voir le jour avec toutes les conséquences que le mauvais usage des médicaments pourrait entrainer sur la santé publique mondiale.

Aussi, au terme de cette étude, il paraît bien difficile et bien utopiste, d’imaginer que la France puisse mettre en place, dans les années à venir, le même type de système qu’Amazon, du fait d’une législation pouvant paraître stricte, mais toujours justifiée par les nécessités posées par les différents textes, et notamment par l’alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946[33].


[1] Meyers, Todd, « Promise and Deceit : pharmakos, drug replacement therapy, and the perils of experience », Culture, Medicine, and Psychiatry, n°38, 1er mai 2014 : « the paper puts the widely discussed conceptual duality of the pharmakon (healing and poison) in conversation with a perilously overlooked subject in the critical study of pharmacotherapy, namely the pharmakos or the personification of sacrifice ».

[2] Directive 65/65/CEE du Conseil de l’Union Européenne, du 26 janvier 1965, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives, relatives aux spécialités pharmaceutiques 

[3] Directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain 

[4] Loi du 11 septembre 1941 relative à l’exercice de la pharmacie dans la lignée de la déclaration royale du 25 avril 1777 : « Sont réservées aux pharma­ciens, sauf les dérogations prévues aux articles 25, 29 et 59 ci-après :  1° La préparation des médicaments des­ tinés à l’usage de la médecine humaine : c’est-à-dire de toute drogue, substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines et condi­tionnée en vue de la vente au poids mé­dicinal (…) »

[5] WHO EMRO | Produits pharmaceutiques et médicaments | Thèmes de santé, [http://www.emro.who.int/fr/health-topics/pharmaceutical-products/index.html], consulté le 31 janvier 2023.

[6]     FORBES, Amazon Introduces RxPass To Offer $5 Prescription Medication Delivery Services, [Amazon Introduces RxPass To Offer $5 Prescription Medication Delivery Services (forbes.com)], consulté le 31 janvier 2023.

[7] Rochefort Mathilde, Clap de fin pour Amazon Care, le service d’e-santé d’Amazon, [https://siecledigital.fr/2022/08/25/fin-amazon-care/], consulté le 31 janvier 2023.

[8] Haroche Aurélie, « Faut-il autoriser la vente de médicaments sur internet ? », Actualités pharmaceutiques, vol. 49, no 496, mai 2010, p. 6.

[9] Fouassier Eric et Van Den Brink Hélène, « Vente de médicaments sur Internet : propositions de modification du Code de la santé publique », Médecine & Droit, vol. 2009, no 95, mars 2009, p. 68‑73.

[10] CJCE, 11 décembre 2003, n°62001J0322

[11] Directive n°2011/62/UE

[12] Ord. n°2012-1427 du 19 décembre 2012 relative au renforcement de la sécurité de la chaîne d’approvisionnement des médicaments, à l’encadrement de la vente de médicaments sur internet et à la lutte contre la falsification de médicaments

[13] D. n°2012-1562

[14] « Vente en ligne de médicaments : comment ça marche ? », Le Quotidien du Médecin, 8 décembre 2022.

[15] « La vente de médicaments sur le Web inquiète les autorités. », Le Monde, 21/02/2007 p.23

[16] Arrêté du 28 novembre 2016 relatif aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments dans lds pharmacies d’officine, les pharmacies mutualistes et les pharmacies de secours minières, mentionnées à l’article L5121-5 du Code de la santé publique.

[17] CE, 21 mars 2016, Société Fairvesta International, GMBH et autres et CE, ass., 21 mars 2016, Société NC Numéricable

[18] Art. L5121-5 al. 4 CSP : « La dispensation, y compris par voie électronique, des médicaments doit être réalisée en conformité avec des bonnes pratiques dont les principes sont définis par arrêté du ministre chargé de la santé ».

[19] Selon la CNIL, une donnée personnelle est « toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable ».

[20] Quels sont les grands principes des règles de protection des données personnelles ? CNIL, [https://www.cnil.fr/fr/cnil-direct/question/quels-sont-les-grands-principes-des-regles-de-protection-des-donnees], consulté le 29 janvier 2023.

[21] Art. R4235-2 al. 21 : le pharmacien “doit contribuer à l’information et à l’éducation du public en matière sanitaire et sociale. Il contribue notamment à la lutte contre la toxicomanie, les maladies sexuellement transmissibles et le dopage”.

[22] Art. L216-1 al. 1 C. Conso. : “Le professionnel délivre le bien ou fournit le service à la date ou dans le délai indiqué au consommateur, conformément au 3° de l’article L111-1, sauf si les parties en conviennent autrement”.

[23] Art. L221-15 al. 2 C. Conso.

[24] Directive n°85/374/CEE du 25 juillet 1985

[25] Office of the Law Revision Councel, http://uscode.house.gov/browse/prelim@title21/chapter9/subchapter2&edition=prelim, consulté le 31 janvier 2023.

[26] FDA, https://www.fda.gov/media/98726/download, consulté le 31 janvier 2023.

[27] Equivalant de l’Ordre des pharmaciens en France

[28] French district, https://frenchdistrict.com/articles/pharmacies-etats-unis-medicaments-ordonnance-drugstore/, consulté le 31 janvier 2023.

[29] France info, https://www.francetvinfo.fr/sante/medicament/etats-unis-les-ravages-de-la-dependance-aux-antidouleurs_2680520.html, consulté le 31 janvier 2023.

[30] FDA, https://www.fda.gov/drugs/information-drug-class/opioid-medications, consulté le 31 janvier 2023.

[31] BENSOUSSAN-BRULE. V, Accord de principe UE-USA sur le transfert des données personnelles, https://www.alain-bensoussan.com/avocats/accord-de-principe-ue-usa-sur-le-transfert-de-donnees-personnelles/2022/03/31/, consulté le 31 janvier 2023.

[32] Le petit juriste, La fraude et le darknet, https://www.lepetitjuriste.fr/la-fraude-et-le-darknet/, consulté le 31 janvier 2023.

[33] Al. 11 du préambule de la Constitution de 1946 : (la nation) « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ».