Mesures COVID & Université : le déni de la souffrance estudiantine
Le présent article, rédigé par Mme Mathilde Gobert, étudiante en Master II Droit de la Santé, promotion Gisèle Halimi 2020-2021, s’inscrit dans le cadre de la 2e chronique en Droit de la santé du Master avec le soutien du Journal du Droit Administratif.
Mesures COVID et université :
le déni de la souffrance estudiantine par le juge des référés ;
note sous CE, Ord., 10 décembre 2020 (447015)
Saisi d’un référé-liberté porté par un collectif de 77 enseignants du corps universitaire, le Conseil d’État s’est vu interrogé sur la question de savoir si le décret du 27 novembre 2020, et plus précisément son article 34 maintenant l’interdiction faite aux étudiants de se rendre dans leurs universités, ne constituait pas une atteinte manifestement disproportionnée au droit à l’instruction, droit fondamental.
Dans une ordonnance du 10 décembre 2020 (n°447015), le juge des référés a débouté les requérants de leurs prétentions. Ces derniers demandant d’enjoindre au Premier ministre de modifier ledit décret pour faire revenir les populations estudiantines sur site avec une organisation respectant les impératifs de santé publique.
Le juge s’est fondé sur quatre points pour motiver son rejet.
Premièrement, selon les magistrats de la Haute juridiction, la différence de traitement faite entre les étudiants à l’université et les étudiants de l’enseignement secondaire et des formations professionnelles post-bac qui, eux, ont pu continuer à recevoir des enseignements en « présentiel » n’est pas, en elle-même, une discrimination portant atteinte à la liberté fondamentale du droit à l’instruction.
Deuxièmement, le juge se prononce sur le respect de la vie qu’invoquaient les requérants. Il estime que le fait de limiter très fortement le nombre d’usagers accueillis dans les universités n’est pas une action ou une carence de l’autorité publique qui créerait un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes. Ici, était notamment invoqué l’impact désastreux des mesures sur la santé, psychologique notamment, des étudiants. Le juge ne retient pas l’atteinte au droit la vie.
Ensuite, le juge des référés conclut à l’absence de violation du droit à l’éducation. En effet, le maintien des travaux pratiques, de la possibilité d’accéder aux bibliothèques universitaires et la mise à disposition de matériels informatiques pour les élèves en situation de « précarité numérique » sont des mesures que le juge qualifie de « modalité d’organisation suffisantes ».
Enfin, le juge estime que les mesures prises par le décret sont proportionnées. En effet, les atteintes au droit de réunion qu’il porte ne sont pas excessives. Ces atteintes sont le résultat de la conciliation faite entre le droit de réunion et l’objectif à valeur constitutionnelle de protection de la santé.
Cette ordonnance suscite néanmoins quelques remarques.
D’abord, existe-t-il, véritablement, une différence de situation entre une classe de formation professionnelle post-bac et une promotion de deuxième année de master du même nombre ? Même si l’on peut envisager qu’il y ait des spécificités propres à la voie professionnelle tel que le besoin de recourir à des travaux pratiques, il apparaît difficile de considérer ces deux populations étudiantes comme radicalement différentes. En effet, ce sont des publics qui appartiennent à la même catégorie d’âge notamment, catégorie où le virus circule le plus. Partant, comment ne pas voir ces différences de traitement comme une discrimination ? Et donc, a fortiori, comme une atteinte au droit à l’instruction…
En second lieu, le 12 janvier 2021 une étudiante lyonnaise tentait de se suicider en se défenestrant dans sa résidance étudiante. Cette tentative suit, malheureusement, celle d’un autre étudiant, à Villeurbanne cette fois-ci, qui lui aussi a tenté de se suicider en se défenestrant. Bien entendu, il n’est pas question ici de reprocher au juge son incompétence pour lire l’avenir mais ces actualités traduisent un mal-être profond qui dure depuis le début de la crise sanitaire. Les étudiants crient leur désespoir et leur sentiment d’abandon depuis des mois. Cette décision raisonne donc comme un acte de mépris sur la question de la santé mentale des étudiants. Plus encore, cette ordonnance révèle une déconnexion évidente du juge sur ces questions.
A la lecture de cette décision on ne peut qu’avoir la sensation que le juge ne souhaite pas non plus « mettre des bâtons dans les roues » d’une Administration et d’un exécutif en improvisation totale dans la gestion de la crise sanitaire. Ce sentiment est renforcé lorsque l’on prend connaissance des derniers motifs, ceux-ci sont laconiques, lapidaires et peu étayés en droit.
Il nous tarde donc de lire la décision qui sera rendue au fond. Si le juge concluait à l’illégalité du décret, même s’il serait trop tard pour les étudiants dont l’année universitaire aura été sacrifiée, cela serait tout de même un commencement de reconnaissance de la souffrance éprouvée par ces derniers.